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La France change de modèle. C’est ce qu’il faut retenir de cette succession de plans de rigueur. François Fillon l’a dit le 7 novembre en achevant de présenter son dernier réajustement de nos finances : «
Il faut refonder notre modèle de croissance qui est devenu insoutenable, parce que depuis trop longtemps tiré par la consommation soutenue par les transferts sociaux. »
C’était le “modèle français” d’après 1945, le modèle financé par les classes nombreuses du baby-boom et la croissance des Trente Glorieuses, conduit par l’État, le Plan et la dépense publique.
À l’époque, le général de Gaulle avait eu à choisir entre deux politiques, celle de René Pleven et celle de Pierre Mendès France. Mendès recommandait la rigueur monétaire, la réorganisation et l’encadrement de l’économie pour combattre l’inflation. De Gaulle redouta que la rigueur ne fasse le jeu du Parti communiste et que la réorganisation de l’économie ne décourage les patrons ; il choisit la politique Pleven qui corrigeait les excès de dépenses par l’inflation. Ce modèle aura duré soixante ans ; il s’est épuisé dans les 35 heures, les RTT et le surendettement. L’euro a tué l’inflation et la dette a tué l’État.
« Ce que nous vivons aujourd’hui, dit Fillon, n’est pas exclusivement la conséquence de la crise de 2008, celle-ci n’a fait qu’aggraver des déséquilibres déjà existants. » « C’est l’aboutissement, poursuit-il, de plus de trente années durant lesquelles nous avons vécu à crédit, avec une dette dont la valeur n’a jamais cessé de progresser. » On avait continué de faire comme si de rien n’était, comme si la croissance était restée vigoureuse et le travail abondant. On avait persévéré dans le choix du “modèle” de 1945, préférant le confort à la rigueur – à cause du risque, souvent justifié d’ailleurs, de la rue. Désormais, ce modèle, à bout de souffle, est devenu caduc. François Fillon le souligne : « Lorsque j’indique que le budget de 2012 est l’un des plus rigoureux depuis 1945, c’est parce que depuis 1945, aucun budget de l’État n’a baissé. » Nous voici arrivés au début du grand basculement. En 2012, le rapport entre la réduction des dépenses publiques et la hausse des recettes fiscales est encore de 1 à 3 (trois fois plus de hausse que de réduction) ; il ne sera plus que de 1 à 2 en 2013 et sera quasiment de 1 pour 1 dès l’année suivante.
Ministre de l’Économie et des Finances depuis le mois de février 2005, Thierry Breton avait quitté Bercy en 2007, en laissant un avertissement sur les excès de notre endettement (Anti-Dette, Plon), fondé sur le rapport qu’il avait demandé sur le sujet à Michel Pébereau, premier banquier de la place. « L’impôt sur le revenu, écrivait-il déjà,ne sert désormais plus qu’à payer les seuls intérêts des dettes héritées de vingt-cinq années de financement à crédit de ce qu’on a appelé le modèle français. » La pente était dangereuse. « C’est bien l’euro qui est directement en risque, prévenait-il, quand les membres de la zone ne respectent pas leurs engagements. » Le grand vent de la campagne présidentielle a emporté ces avertissements. Nicolas Sarkozy n’a pas voulu inaugurer sa présidence par un plan d’austérité. La crise de 2008 s’en est chargée pour lui.
Venue des débordements en cascade du système politique et financier américain, l’alerte allait être très sérieuse. La crise financière privée menaçait l’économie de la planète. Déjà surendettés, les États se sont encore endettés pour éviter les files d’attente aux guichets des banques. Et la crise des finances privées s’est transformée en crise des finances publiques. Elle est arrivée par le pays le plus vulnérable, la Grèce, affectant bientôt toute la zone euro.
La France avait déjà pris la mesure du risque. La catastrophe grecque a servi de révélateur et d’accélérateur. Le gouvernement français avait engagé la réduction des effectifs de fonctionnaires (150 000 en quatre ans – cependant que, depuis trente ans, l’État en avait recruté 300 000, les collectivités territoriales 450 000, et les hôpitaux 200 000), mais surtout il procédait, en 2010, à la réforme des retraites, en allongeant de deux ans la durée du travail.
C’était une double rupture : avec le mythe de la réduction du temps de travail et avec l’endettement sans fin pour financer le déficit des pensions. Un an plus tard, le nouveau plan prévoit d’avancer d’une année le passage final à 62 ans. Que s’est-il passé entre-temps ? La chute de la Grèce, sa quasi-faillite, la révélation, quotidienne, en direct, des conséquences de son délabrement financier. L’année dernière, nos syndicats défilaient tous les mois dans la rue pour défendre la retraite à 60 ans. Vont-ils recommencer ? Et François Hollande n’est-il pas de plus en plus tenu par ces réalités ? La refondation du modèle français ne passe plus par la dépense et la dette mais par le travail et la production. Merci les Grecs. François d'Orcival, de l'Institut