Affaire Woerth : l'Elysée a violé la loi sur le secret des sources des journalistes

Afin d'identifier la source d'informations parues dans Le Monde sur l'affaire Woerth-Bettencourt et de tenter de mettre un terme aux révélations dans la presse sur cette enquête, l'Elysée a eu recours, courant juillet, à des procédés qui enfreignent directement la loi sur la protection du secret des sources des journalistes. En conséquence, Le Monde a décidé de déposer une plainte contre X pour violation du secret des sources.
Les 15 et 16 juillet, l'enquête préliminaire sur l'affaire Bettencourt a pris un tour déterminant avec les gardes à vue de Patrice de Maistre, le gestionnaire de fortune de Liliane Bettencourt, du photographe François-Marie Banier et de l'ex-avocat de la milliardaire, Fabrice Goguel. Ces auditions ont permis de préciser les conditions d'embauche de Florence Woerth par M. de Maistre.
Patrice de Maistre a assuré qu'il avait été incité à procéder au recrutement de Mme Woerth en 2007 par son mari, alors ministre du budget, cinq mois après avoirobtenu la Légion d'honneur par l'intermédiaire d'Eric Woerth.
Le Monde a fait état de ces informations à la "une" de ses éditions datées 18-19 juillet, sous le titre "Le principal collaborateur de Liliane Bettencourt met Eric Woerth en difficulté", au-dessus d'un article signé de notre collaborateur Gérard Davet. La publication de ces informations, à quelques jours de l'audition de M. Woerth par les policiers, prévue fin juillet a, selon des sources proches du dossier, particulièrement irrité l'Elysée.
Selon plusieurs sources interrogées par Le Monde à la Direction générale de la police nationale (DGPN) ainsi qu'à la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), ordre a alors été donné à la DGPN de mettre fin aux fuites qui avaient abouti à la publication de ces informations dans Le Monde.
Les services de la DCRI, c'est-à-dire du contre-espionnage français, ont été mis à contribution hors procédure judiciaire, une quinzaine de jours avant qu'une enquête préliminaire ne soit ordonnée par le parquet de Paris, le 4 août. Ils ont d'abord cherché à cerner le profil de la source potentielle. Parmi les personnes qui pouvaient avoir accès aux procès-verbaux des auditions, ils se sont arrêtés sur un haut fonctionnaire. Le téléphone administratif de ce dernier a fait l'objet de discrètes expertises techniques. Les identités des personnes ayant contacté ce membre de l'appareil d'Etat ont été remises à la DCRI par un opérateur téléphonique, sous forme d'un listing. C'est à cette occasion que le nom de Gérard Davet, journaliste au Monde, est apparu.
La DCRI - qui a assuré au Monde avoir agi dans le cadre de sa "mission de protection des intérêts de l'Etat" - a transmis, courant juillet, ses conclusions à l'Elysée, pensant avoir identifié la source du Monde. La hiérarchie du haut fonctionnaire soupçonné, David Sénat, conseiller pénal au cabinet de la garde des sceaux, Michèle Alliot-Marie, a été sommée de le convoquer. Il a été appelé à quitterses fonctions, et s'est vu proposer une "mission de préfiguration " pour la mise en place de la cour d'appel de Cayenne, en Guyane. Contacté par Le Monde, l'entourage de Mme Alliot-Marie affirme que le départ de M. Sénat "n'est absolument pas précipité" et "n'a rien à voir" avec cette affaire, sur laquelle la chancellerie se refuse à tout commentaire.
Un journaliste n'est pas astreint au secret de l'enquête, comme le sont les magistrats ou les policiers. Il peut donc avoir accès à tous documents, fussent-ils confidentiels, et en faire état pour étayer son travail d'enquête journalistique. Il peut ainsi être amené à citer des procès-verbaux d'auditions réalisées dans le cadre d'enquêtes judiciaires. Le secret des sources est protégé par la loi : un journaliste a le droit d'opposer le silence sur ses sources s'il est interrogé dans le cadre d'une enquête judiciaire.
L'affaire Woerth-Bettencourt est gérée par le parquet de Nanterre. Il s'agit d'une enquête préliminaire, à laquelle ont accès les policiers de la brigade financière, le ministère de l'intérieur, la hiérarchie judiciaire, la chancellerie et l'Elysée. A la différence d'une instruction, conduite par un juge indépendant, les avocats des personnes mises en cause n'ont pas connaissance de la procédure.
En faisant mener une enquête par la police pour tenter d'identifier la source de notre journaliste, l'exécutif a donc clairement enfreint la loi relative à la protection du secret des sources des journalistes, dispositif qu'il avait pourtant renforcé par la loi du 4 janvier 2010. Aux termes de cette loi, " est considéré comme une atteinte indirecte au secret des sources le fait de chercher à découvrir les sources d'un journaliste au moyen d'investigations portant sur toute personne qui, en raison de ses relations habituelles avec un journaliste, peut détenir des renseignements permettant d'identifier ces sources". Par ailleurs, ajoute le texte, il "ne peut êtreporté atteinte directement ou indirectement au secret des sources que si un impératif prépondérant d'intérêt public le justifie, et si les mesures envisagées sont strictement nécessaires et proportionnées au but légitime poursuivi".
Le Monde a, depuis, poursuivi son travail d'enquête et a continué à publier des informations inédites, y compris appuyées sur de nouveaux procès-verbaux d'auditions.
Sylvie Kauffmann
Δεν υπάρχουν σχόλια:
Δημοσίευση σχολίου
Σημείωση: Μόνο ένα μέλος αυτού του ιστολογίου μπορεί να αναρτήσει σχόλιο.