L’été grec se termine pour 2012. Malgré une relative baisse, l’effondrement redouté des activités touristiques n’a pas eu lieu, donnant au marché intérieur la bulle d’oxygène de quelques dizaines de millions d’Euros qui lui permettent de respirer un peu.
Le gouvernement Samaras est maintenant en place depuis 4 mois. Beaucoup se disent déçus de ses résultats, et surtout du fait qu’il tarde à tenir ses promesses de remettre le pays en état et surtout de renégocier les modalités du programme d’économies et d’austérité avec les partenaires européens et le FMI. Cette renégociation permettrait notamment un allongement des délais d’application des mesures envisagées, et un hypothétique soulagement des couches les plus touchées de la population. Au surplus, de nouvelles coupures (12 milliards d’économies) frappent encore les retraités, fonctionnaires, et les travailleurs du secteur privé.
Madame Merkel a fait une visite-éclair a Athènes le 9 octobre. Beaucoup de Grecs ont manifesté contre cette visite à Athènes, encouragés en cela par la démagogie d’une opposition qui ne propose toujours aucun terme alternatif réaliste, sinon de rejeter sur l’ « étranger » la responsabilité de la crise. Une sorte d’ « idéologie officielle » qui sévit en Grèce depuis une trentaine d’années maintenant et véhiculée aussi bien par une partie de la gauche que par l’extrême droite, sépare le « bien » du « mal », et classe par exemple l’Union Européenne et l’Euro dans la seconde catégorie. Toutefois, et c’est bien là le paradoxe, pour ne pas dire la schizophrénie, – bien peu de Grecs voudraient réellement en sortir… Crise et paupérisation font réapparaître des éléments irrationnels de mémoire collective ou de théories du complot, grandement encouragés par cette démagogie de politiciens ou de la presse. Cette irrationalité peut accentuer la dérive du pays, et faire le lit de solutions autoritaires. Naturellement, il est aussi délicat de juger une opinion et des gens à qui, on (la classe politique) donnait tout (en empruntant) encore hier, et à qui on veut beaucoup retirer aujourd’hui…
Depuis 2010, les dirigeants grecs ont eu le choix entre 2 trains de mesures afin de réaliser des économies et assainir une situation économique lamentable: soit renvoyer sans autre forme de procès environ 300 ’000 fonctionnaires et couper pratiquement autant de retraites jugées « abusives » car leurs bénéficiaires se trouvent en dessous de 60 voire même de 50 ans, soit faire baisser l’ensemble des revenus et retraites, publics comme privés, ces derniers par le biais de la suppression des conventions collectives. Ne voulant et ne pouvant s’attaquer de front aux privilèges d’un secteur public proprement ubuesque, ce qui aurait d’ailleurs provoqué une tragédie sociale immédiate, ils ont choisi la seconde solution. Les baisses de revenus ont toutefois entraîné une forte baisse de la consommation. Ajoutée à la fuite de tout investissement productif ainsi que de l’épargne et des liquidités, dues à l’instabilité générale du pays, elles entraînent une profonde récession de l’économie privée et une forte augmentation du chômage dans ce secteur: le fait est que la Grèce a aujourd’hui 22% de chômeurs, dont 45% chez les jeunes de moins de 30 ans, et que pratiquement aucun fonctionnaire n’a perdu son travail… La tragédie sociale se trouve ainsi reportée d’un secteur public largement « responsable » de la situation du pays, vers le secteur privé et en particulier ses travailleurs…
Pour renégocier le rythme d’un programme qu’on a accepté, il faut cependant commencer par l’appliquer. Or, et depuis plus de 2 ans maintenant, bien peu a été fait dans le sens d’un assainissement et d’une simplification fonctionnelle de l’Etat, de l’administration, des finances et de l’économie grecs. La seule chose parfaitement réussie aura été de faire plonger le pays dans sa 5e année consécutive de récession, et de préserver une bureaucratie administrative aussi inutile que nocive. Probablement faute de choix, on commence toutefois à sentir une volonté du gouvernement de faire « bouger » certaines choses, et de s’attaquer à certains tabous et « vaches sacrées ». Il ne peut le faire que très lentement: rappelons qu’il s’agit d’une fragile coalition de trois partis, dont deux (le PASOK et Nea Demokratia) directement responsables du désastre actuel. A ce titre, il est encourageant d’entendre M. Horst Reichenbach, qui se trouve à la tête de la « Task Force » européenne chargée de proposer et coordonner les réformes de l’Etat et de l’économie helléniques, parler il z a deux semaines à Bruxelles d’ « une réelle volonté de changement de la part du gouvernement, ainsi que de sérieux progrès qui commencent à être enregistrés ».
De fait, sur le plan de la fraude fiscale tout d’abord, les contrôles commencent à se multiplier auprès des catégories « sensibles », soit les indépendants et les professions libérales. Des simplifications dans les barèmes et les modalités d’encaissement devraient également amener quelques résultats cette année déjà.
Les politiciens et hauts fonctionnaires corrompus commencent également à sentir que les temps de l’impunité sont passés. Certains sont déjà en prison, d’autres attendent une convocation de la justice, un certain nombre d’immunités parlementaires on été levées. Deux ou trois suicides survenus depuis le début du mois témoignent du désarroi de gens qui, pendant des années se croyaient au-dessus du commun des mortels et qu’on appelle à rendre des comptes…
On aimerait également voir venir les simplifications et surtout clarifications administratives et sociales qui permettront au pays de devenir concurrentiel et d’attirer des investissements productifs: à l’heure actuelle par exemple, pour exporter un produit grec donné il faut 17 documents administratifs et un délai de 22 jours. Pour le produit équivalent Hollandais ou Danois, il faut 4 documents et 7 jours de délai…
Les changements sont lents, peut-être même trop lents. N’oublions cependant pas que chacun d’eux constitue le fruit d’un compromis fragile. S’ils sont indispensables pour la Grèce, il faut également faire attention à ce que le remède ne tue pas le malade. Il faut éviter de tomber dans le piège qui consiste à penser que tout ce qui ne suit pas les dogmes ultra-libéraux est forcément corrompu et « mauvais »…
Mais revenons-en à la Chancelière allemande: sa visite n’est certainement pas une mauvaise chose, même si le moment choisi est peu opportun. On aurait certes préféré la voir à Athènes il y a 2 ans, flanquée de « son » Sarkozy et de M. Barroso: les Grecs se seraient alors peut-être dit que l’Union et ses « pays directeurs » se soucient réellement de leur situation: gageons que beaucoup de nécessaires mesures, défendues au plus haut et non par les sous-comptables de la « Troϊka », fussent alors bien mieux « passées » auprès de l’opinion… La situation exigeait que, non seulement les technocrates, mais aussi et surtout les politiques montent au créneau.
Pour la Grèce et, au-delà, pour l’Europe, il faut actuellement de la prudence et du courage. Un faux pas peut tout remettre en cause. Il faut notamment que les moins favorisés perdent cette impression (qui n’est certainement pas qu’une impression) que l’Europe, organe d’un ultra-libéralisme sans frein, rend leur situation toujours plus intenable. Seules des décisions politiques volontaires, certaines mettant peut-être provisoirement de côté les graves problèmes financiers et économiques, (tout en ne ralentissant pas le rythme des réformes) peuvent aider à trouver une issue. Ces décisions doivent toutefois être prises et appliquées tant à Athènes qu’au niveau de l’Union Européenne.