Le journalisme dans l’ombre des lois anti-terroristes
Aliocha - blogueuse associée | Mercredi 21 Septembre 2011 à 05:01 | Lu 643 fois
Notre blogueuse associée Aliocha s'entretient avec Olivier Da Lage, journaliste à RFI et vice-président de la Fédération internationale des journalistes (FIJ), sur le problème des restrictions des libertés d'expression et de la presse au profit de la sécurité des Etats, qui ont considérablement renforcé leur lutte contre le terrorisme depuis le 11-Septembre.
La Fédération internationale des journalistes (FIJ) a organisé les 10 et 11 septembre derniers à Bruxelles une grande manifestation intitulée « Le journalisme dans l’ombre des lois anti-terroristes ». Les débats ont mis en lumière le glissement qui s’est opéré à partir du 11 septembre 2001 vers une restriction des libertés au profit de la sécurité.
Ce recul des droits de l’homme, dont la liberté d’expression, au nom de la lutte contre le terrorisme a affecté non seulement les grandes démocraties, mais a permis aux régimes autoritaires de prendre exemple sur elles pour justifier leurs propres systèmes répressifs.
La FIJ a adopté, à l’issue des débats, une déclaration qui appelle tous les syndicats de journalistes dans le monde à la plus grande vigilance et invite l’ensemble des institutions de défense des droits de l’homme à peser sur les pouvoirs publics pour rétablir un juste équilibre entre protection de la sécurité des Etats et respect des droits individuels. Olivier Da Lage, journaliste à RFI et vice-président de la FIJ, nous explique les enjeux de cet affrontement aussi invisible que stratégique entre liberté et sécurité.
Aliocha : La déclaration solennelle du 11 septembre 2011 adoptée par la FIJ dénonce la réponse « manifestement disproportionnée » des Etats à la menace terroriste, aboutissant à « un viol systématique des droits fondamentaux ». Concrètement, en quoi la liberté d’informer a-t-elle souffert des lois anti-terroristes ces dix dernières années ?
Olivier Da Lage : A la suite des attentats du 11 septembre, les Etats-Unis, mais aussi l’Europe et les gouvernements des Etats membres de l’Union, ont considérablement augmenté les moyens alloués à leurs services de renseignements afin de renforcer la lutte contre le terrorisme. A l’époque, l’émotion était telle que l’opinion publique ne s’est pas révoltée contre ce qui constituait des atteintes sévères aux libertés. Si l’objectif en soi est légitime, les moyens qui ont été utilisés sont quant à eux discutables. Non seulement le champ des libertés a été réduit au niveau législatif, mais la lutte contre le terrorisme est devenu l’alibi de bien des dérives dans l’utilisation des outils juridiques destinés à lutter contre le terrorisme. Par exemple en France, l’affaire de l’espionnage du Monde est une illustration parfaite de ce phénomène. Pour justifier la surveillance des journalistes, Claude Guéant a invoqué la nécessité d’identifier une taupe au sein du ministère de la justice, et donc un problème de sécurité nationale. De la même manière en Grande-Bretagne, la police londonienne vient de revendiquer l’usage de la loi sur les secrets officiels (Official Secrets Act) pour forcer le Guardian à révéler ses sources dans l’affaire des écoutes du News of the world. Or, cette loi ne concerne en principe, comme son nom l’indique, que les questions de sécurité nationale. On voit bien dans ces deux exemples comment une acception très large de la notion de sécurité permet de justifier les atteintes au droit d’informer, et en particulier à la protection des sources sans laquelle il n’y a pas de liberté dela presse. C’est une conséquence directe du changement qui s’est opéré en 2001.
Les démocraties sont-elles les seules dans ce cas ?
Hélas non. La plupart des pouvoirs autoritaires se sont appuyées sur le Patriot Act américain pour justifier le durcissement de leur propre législation. Des pays arabes jusqu’en Asie en passant par la Russie, tous les Etats ont considéré qu’ils avaient leurs propres terroristes à combattre et qu’ils avaient donc le droit d’adopter ou de renforcer une réglementation déjà répressive. Quand la Maison Blanche s’organise pour extraire illégalement des personnes et les enfermer à Guantanamo ou encore les envoyer en Egypte ou en Jordanie en expliquant ensuite qu’elles sont hors de leur juridiction et qu’elle n’est pas responsable du sort qu’on leur inflige, comment voulez-vous donner des leçons de démocratie au reste du monde ? Nous assistons à un véritable effondrement des digues juridiques qui maintenaient jusqu’au 11 septembre un équilibre à peu près juste entre sécurité et liberté. Le curseur s’est décalé du côté de la sécurité de manière très nette, ce qui donne lieu à des abus quotidiens partout dans le monde. C’est l’ancien ministre de la justice américain Alberto Gonzales qui résume le mieux la situation quand il dit que les Etats-Unis sont en état de guerre et que le président américain a tous les droits.
La déclaration évoque une surveillance de masse des journalistes. N’est-ce pas un peu exagéré ?
La surveillance des journalistes a toujours existé. En France, on sait bien que les services de renseignements ne se contentent pas de rédiger des revues de presse. Ils sont également présents sur le terrain et ont même pris l’habitude de se présenter notamment aux journalistes, ce qui a au moins le mérite de la transparence. Leproblème aujourd’hui c’est que cette surveillance s’affranchit des textes qui l’encadrent au nom de la lutte contre le terrorisme. Là encore l’affaire des fadettes des journalistes du Monde est emblématique. Au moment même où l’on vient d’adopter une loi sur la protection des sources des journalistes, on s’empresse d’en violer les dispositions au nom de la sécurité publique. Rappelons que la loi du 4 janvier 2010précise : « Il ne peut être porté atteinte directement ou indirectement au secret des sources que si un impératif prépondérant d’intérêt public le justifie et si les mesures envisagées sont strictement nécessaires et proportionnées au but légitime poursuivi ». Il ne semble pas que l’affaire Bettencourt entre dans le cadre de cette exception qui renvoie à des cas bien précis définis par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.
Au-delà du renforcement de la surveillance et du risque accru de censure, la FIJ met en garde contre le danger de l’autocensure. Pourquoi ?
Dans les jours qui ont suivi les attentats du 11 septembre aux Etats-Unis, il était impossible pour un journaliste américain de commencer un article sans rappeler son allégeance à la patrie et l’impérieuse nécessité de traquer le terrorisme. A défaut, il courait le risque de se faire traiter de 5ème colonne d’Al-Qaida. Cela montre bien que dans une société obsédée par la sécurité, les journalistes qui posent des questions dérangent. Si l’on ajoute à cela le renforcement de la surveillance de la presse par les pouvoirs publics, on aperçoit bien le risque de l’autocensure. La tentation est forte dans ce contexte de taire certaines informations sensibles pour éviter les ennuis. Ce d’autant plus que les éditeurs de presse ne sont pas toujours prêts à se mettre en danger. Evidemment, quand l’autocensure va trop loin, la situation explose et les médias retrouvent un fonctionnement normal. C’est ainsi que le New York Times s’est excusé d’avoir fermé les yeux sur les suites du 11 septembre par patriotisme. Nous avons connu la même chose en France après l’élection de Nicolas Sarkozy. Dans la première phase triomphante, les médias se sont autocensurés et puis, petit à petit, ils ont recouvré leur esprit critique. Encore faut-il que celui-ci puisse s’exercer librement, sinon, le retour à la normale devient de plus en plus difficile.
Au fond, la fameuse raison d’Etat a toujours existé… il arrive d’ailleurs que les journalistes, qui sont aussi des citoyens, acceptent de se taire lorsqu’ils le jugent légitime.
En effet, les journalistes ne sont pas hermétiques à la notion de raison d’Etat. En Grande-Bretagne où les relations de confiance entre la presse et les pouvoirs publics sont nettement meilleures qu’en France, il arrive que les rédacteurs en chefs reçoivent ce qu’on appelle une Notice D, pour Défense, les alertant sur une information qu’ils n’ont pas le droit de sortir. Le plus souvent ces directives sont légitimes et donc respectées. Mais on voit bien que si la sécurité prend le pas sur les libertés, il y a un risque que les demandes soient de plus en plus nombreuses et de moins en moins fondées… A ce sujet, et quoique l’on pense de Julian Assange, la question soulevée au départ par Wikileaks sur le point de savoir s’il fallait ou non révéler que l’armée américaine avait tiré sur des civils en Afghanistan, apparait parfaitement légitime.
Qu’espérez-vous concrètement en publiant cette déclaration ?
Elle a plusieurs objectifs. D’abord la Fédération internationale des journalistes est composée de syndicats professionnels. Elle représente 600 000 journalistes dans 130 pays. Il s’agit donc d’attirer l’attention de la profession sur le danger que représentent les lois anti-terroristes et surtout l’usage qui en est fait, pour la liberté dela presse. Ensuite, nous savons que la Fédération seule ne pourra pas lutter efficacement contre le mouvement qui s’opère au détriment des libertés. Il s’agit donc pour nous de mobiliser des organisations comme Amnesty International, RSF, Article 19, mais aussi des professionnels, avocats, policiers etc, pour réfléchir et travailler ensemble sur un équilibre juste entre lutte contre le terrorisme et préservation des droits et libertés. Beaucoup de digues ont sauté partout dans le monde à la suite du 11 septembre, il est urgent de remettre en place des garde-fous.
Ce recul des droits de l’homme, dont la liberté d’expression, au nom de la lutte contre le terrorisme a affecté non seulement les grandes démocraties, mais a permis aux régimes autoritaires de prendre exemple sur elles pour justifier leurs propres systèmes répressifs.
La FIJ a adopté, à l’issue des débats, une déclaration qui appelle tous les syndicats de journalistes dans le monde à la plus grande vigilance et invite l’ensemble des institutions de défense des droits de l’homme à peser sur les pouvoirs publics pour rétablir un juste équilibre entre protection de la sécurité des Etats et respect des droits individuels. Olivier Da Lage, journaliste à RFI et vice-président de la FIJ, nous explique les enjeux de cet affrontement aussi invisible que stratégique entre liberté et sécurité.
Aliocha : La déclaration solennelle du 11 septembre 2011 adoptée par la FIJ dénonce la réponse « manifestement disproportionnée » des Etats à la menace terroriste, aboutissant à « un viol systématique des droits fondamentaux ». Concrètement, en quoi la liberté d’informer a-t-elle souffert des lois anti-terroristes ces dix dernières années ?
Olivier Da Lage : A la suite des attentats du 11 septembre, les Etats-Unis, mais aussi l’Europe et les gouvernements des Etats membres de l’Union, ont considérablement augmenté les moyens alloués à leurs services de renseignements afin de renforcer la lutte contre le terrorisme. A l’époque, l’émotion était telle que l’opinion publique ne s’est pas révoltée contre ce qui constituait des atteintes sévères aux libertés. Si l’objectif en soi est légitime, les moyens qui ont été utilisés sont quant à eux discutables. Non seulement le champ des libertés a été réduit au niveau législatif, mais la lutte contre le terrorisme est devenu l’alibi de bien des dérives dans l’utilisation des outils juridiques destinés à lutter contre le terrorisme. Par exemple en France, l’affaire de l’espionnage du Monde est une illustration parfaite de ce phénomène. Pour justifier la surveillance des journalistes, Claude Guéant a invoqué la nécessité d’identifier une taupe au sein du ministère de la justice, et donc un problème de sécurité nationale. De la même manière en Grande-Bretagne, la police londonienne vient de revendiquer l’usage de la loi sur les secrets officiels (Official Secrets Act) pour forcer le Guardian à révéler ses sources dans l’affaire des écoutes du News of the world. Or, cette loi ne concerne en principe, comme son nom l’indique, que les questions de sécurité nationale. On voit bien dans ces deux exemples comment une acception très large de la notion de sécurité permet de justifier les atteintes au droit d’informer, et en particulier à la protection des sources sans laquelle il n’y a pas de liberté dela presse. C’est une conséquence directe du changement qui s’est opéré en 2001.
Les démocraties sont-elles les seules dans ce cas ?
Hélas non. La plupart des pouvoirs autoritaires se sont appuyées sur le Patriot Act américain pour justifier le durcissement de leur propre législation. Des pays arabes jusqu’en Asie en passant par la Russie, tous les Etats ont considéré qu’ils avaient leurs propres terroristes à combattre et qu’ils avaient donc le droit d’adopter ou de renforcer une réglementation déjà répressive. Quand la Maison Blanche s’organise pour extraire illégalement des personnes et les enfermer à Guantanamo ou encore les envoyer en Egypte ou en Jordanie en expliquant ensuite qu’elles sont hors de leur juridiction et qu’elle n’est pas responsable du sort qu’on leur inflige, comment voulez-vous donner des leçons de démocratie au reste du monde ? Nous assistons à un véritable effondrement des digues juridiques qui maintenaient jusqu’au 11 septembre un équilibre à peu près juste entre sécurité et liberté. Le curseur s’est décalé du côté de la sécurité de manière très nette, ce qui donne lieu à des abus quotidiens partout dans le monde. C’est l’ancien ministre de la justice américain Alberto Gonzales qui résume le mieux la situation quand il dit que les Etats-Unis sont en état de guerre et que le président américain a tous les droits.
La déclaration évoque une surveillance de masse des journalistes. N’est-ce pas un peu exagéré ?
La surveillance des journalistes a toujours existé. En France, on sait bien que les services de renseignements ne se contentent pas de rédiger des revues de presse. Ils sont également présents sur le terrain et ont même pris l’habitude de se présenter notamment aux journalistes, ce qui a au moins le mérite de la transparence. Leproblème aujourd’hui c’est que cette surveillance s’affranchit des textes qui l’encadrent au nom de la lutte contre le terrorisme. Là encore l’affaire des fadettes des journalistes du Monde est emblématique. Au moment même où l’on vient d’adopter une loi sur la protection des sources des journalistes, on s’empresse d’en violer les dispositions au nom de la sécurité publique. Rappelons que la loi du 4 janvier 2010précise : « Il ne peut être porté atteinte directement ou indirectement au secret des sources que si un impératif prépondérant d’intérêt public le justifie et si les mesures envisagées sont strictement nécessaires et proportionnées au but légitime poursuivi ». Il ne semble pas que l’affaire Bettencourt entre dans le cadre de cette exception qui renvoie à des cas bien précis définis par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.
Au-delà du renforcement de la surveillance et du risque accru de censure, la FIJ met en garde contre le danger de l’autocensure. Pourquoi ?
Dans les jours qui ont suivi les attentats du 11 septembre aux Etats-Unis, il était impossible pour un journaliste américain de commencer un article sans rappeler son allégeance à la patrie et l’impérieuse nécessité de traquer le terrorisme. A défaut, il courait le risque de se faire traiter de 5ème colonne d’Al-Qaida. Cela montre bien que dans une société obsédée par la sécurité, les journalistes qui posent des questions dérangent. Si l’on ajoute à cela le renforcement de la surveillance de la presse par les pouvoirs publics, on aperçoit bien le risque de l’autocensure. La tentation est forte dans ce contexte de taire certaines informations sensibles pour éviter les ennuis. Ce d’autant plus que les éditeurs de presse ne sont pas toujours prêts à se mettre en danger. Evidemment, quand l’autocensure va trop loin, la situation explose et les médias retrouvent un fonctionnement normal. C’est ainsi que le New York Times s’est excusé d’avoir fermé les yeux sur les suites du 11 septembre par patriotisme. Nous avons connu la même chose en France après l’élection de Nicolas Sarkozy. Dans la première phase triomphante, les médias se sont autocensurés et puis, petit à petit, ils ont recouvré leur esprit critique. Encore faut-il que celui-ci puisse s’exercer librement, sinon, le retour à la normale devient de plus en plus difficile.
Au fond, la fameuse raison d’Etat a toujours existé… il arrive d’ailleurs que les journalistes, qui sont aussi des citoyens, acceptent de se taire lorsqu’ils le jugent légitime.
En effet, les journalistes ne sont pas hermétiques à la notion de raison d’Etat. En Grande-Bretagne où les relations de confiance entre la presse et les pouvoirs publics sont nettement meilleures qu’en France, il arrive que les rédacteurs en chefs reçoivent ce qu’on appelle une Notice D, pour Défense, les alertant sur une information qu’ils n’ont pas le droit de sortir. Le plus souvent ces directives sont légitimes et donc respectées. Mais on voit bien que si la sécurité prend le pas sur les libertés, il y a un risque que les demandes soient de plus en plus nombreuses et de moins en moins fondées… A ce sujet, et quoique l’on pense de Julian Assange, la question soulevée au départ par Wikileaks sur le point de savoir s’il fallait ou non révéler que l’armée américaine avait tiré sur des civils en Afghanistan, apparait parfaitement légitime.
Qu’espérez-vous concrètement en publiant cette déclaration ?
Elle a plusieurs objectifs. D’abord la Fédération internationale des journalistes est composée de syndicats professionnels. Elle représente 600 000 journalistes dans 130 pays. Il s’agit donc d’attirer l’attention de la profession sur le danger que représentent les lois anti-terroristes et surtout l’usage qui en est fait, pour la liberté dela presse. Ensuite, nous savons que la Fédération seule ne pourra pas lutter efficacement contre le mouvement qui s’opère au détriment des libertés. Il s’agit donc pour nous de mobiliser des organisations comme Amnesty International, RSF, Article 19, mais aussi des professionnels, avocats, policiers etc, pour réfléchir et travailler ensemble sur un équilibre juste entre lutte contre le terrorisme et préservation des droits et libertés. Beaucoup de digues ont sauté partout dans le monde à la suite du 11 septembre, il est urgent de remettre en place des garde-fous.
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