19 SEPTEMBRE 2011
Au pied de la lettre
Le panneau sur la vitrine du magasin disait: «Ici nous détenons la vérité». Je m’arrêtai. Depuis des années je la cherchais. Devant, derrière. A gauche, à droite. J’avais tout tenté, usé le cuir de centaines de chaussures, foulé d’impossibles déserts, traversé des rivières en crue.

J’étais quelque peu dérouté devant la difficulté de la tâche. Pourquoi la vérité n’était-elle pas plus accessible? On parlait pourtant d’elle dans les livres religieux, on l’exigeait dans les tribunaux: elle devait bien être quelque part! Alors en voyant ce panneau: «Ici nous détenons la vérité» je suis entré.
On m’accueillit avec méfiance.
- Que cherchez-vous?
- La vérité. Est-il vrai que vous la détenez?
Un long silence suivit ma question. Le regard était indéfinissable. Presque suspicieux. Etait-ce mes habits mouillés par la pluie de cette froide journée? Ou portais-je sur moi les stigmates du chercheur ébouriffé? J’insistai:
- La détenez-vous?
Enfin on me répondit:
- Au fond du couloir, cellule V.
Je m’avançai dans un couloir sombre sentant le renfermé. On n’était pas venu ici depuis longtemps: mes pas laissaient une empreinte sur la poussière du plancher et des toiles d’araignées collaient à mes cheveux. Au bout je vis une porte grillagée. Derrière, une petite pièce en forme de V posé verticalement. Comment cette pièce pouvait-elle tenir debout?
A l’intérieur, je la vis: la vérité était là. Muette. Immobile. J’ouvris la porte en forçant un cadenas. Au bruit que cela fit elle ouvrit les yeux. Son visage s’éclaira.
- Enfin! Enfin quelqu’un me cherche!
- Que fais-tu là?
- Ils me détiennent. Je suis prisonnière. Je suis détenue dans cette cellule. Ils me gardent pour eux seuls comme si je leur appartenais.
Je compris que j’étais tombé chez les Gardiens de la vérité, ceux qui la pensent la détenir comme une prisonnière ordinaire. Ceux qui croient la posséder au détriment du reste du monde.
- Je suis enchaînée à mes gardiens. Leur certitude de me détenir me lie plus fort que des chaînes. Je ne puis bouger.
Et dans un élan elle me dit:
- Toi qui m’a tant cherchée, fais-moi un enfant.
- Un enfant? Là?
- Oui, là. Maintenant. S’il te plaît.
- Pourquoi veux-tu un enfant?
- Parce que seul un enfant pourra me libérer. Ne dit-on pas que la vérité sort de la bouche des enfants? Fais-moi un enfant, et je sortirai enfin de cette prison!
Dans cette pièce en V la vérité était émouvante, et son regard intense eut raison de mes questionnements. Je la pris là, tendrement, dans sa cellule, à même le sol. Je la pris au pied de la lettre. Au pied de ce V, qui pouvait avoir signifié Vaincue, et qui soudain devenait Victoire.
Longtemps après on raconta qu’un enfant courait dans les rues de la ville, expliquant le sens de l’univers, l’origine du monde, l’essentiel de l’humanité. Et l’on disait que la vérité sortait de sa bouche.
Je ne sais quel crédit l'on peut accorder à cet enfant. Mais je ne pus m’empêcher de sourire à l’idée que la vérité était enfin libre.
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