En quoi la politique du gouvernement est-elle efficace face à la crise ?
Pierre Lellouche, secrétaire d'Etat au commerce extérieur, conseiller de Paris | LEMONDE.FR | 19.09.11 | 09h42 • Mis à jour le 22.09.11 | 17h12
L'INTÉGRALITÉ DU DÉBAT AVEC PIERRE LELLOUCHE, SECRÉTAIRE D’ÉTAT CHARGÉ DU COMMERCE EXTÉRIEUR ET CONSEILLER DE PARIS, JEUDI 22 SEPTEMBRE 2011
Alain : La France vient de battre son record de déficit extérieur... Allez-vous nous dire que ce n'est pas la faute de la politique du gouvernement ?
Pierre Lellouche : J'ai eu l'occasion de présenter un diagnostic sans complaisance de nos performances à l'international la semaine dernière devant la Commission des finances. Je n'ai pas eu l'impression qu'il y ait eu, de la part de députés d'opposition, de mise en cause de la politique du gouvernement.
Le problème que nous avons est fondamentalement un problème d'offre, c'est-à-dire de production en France, et ensuite, de reconquête de parts de marché. Notre appareil de production est à la fois trop faible à l'export et trop concentré sur le marché européen. C'est ainsi que nous avons 91 000 entreprises sur plus de 3 millions qui exportent, contre plus de 400 000 en Allemagne et 200 000 en Italie. Donc nous avons un tissu industriel souvent de trop petite taille pour l'export.
C'est la raison pour laquelle l'essentiel du travail que je mène vise à aider nos PME[petites et moyennes entreprises] à l'export. Nous avons autant de grands groupes (CAC 40) qu'en Allemagne, mais l'un des problèmes que nous avons, c'est que bien souvent, ces grands groupes portent insuffisamment leurs PME sous-traitantes à l'export.
Dès lors, le travail qui est le mien s'articule autour de plusieurs axes prioritaires : 1)faire en sorte d'améliorer la connaissance de la demande mondiale à l'export ; 2)renforcer le tissu de PME en régions, avec la création, dans chaque région, de guichet unique à l'export ou de maisons de l'export en liaison avec les régions et les chambres de commerce régionales ; 3) développer le portage entre nos grands groupes et les PME. Le reste de mon travail consiste à travailler aux négociations commerciales internationales en liaison avec le commissaire européen [au commerce] Karel de Gucht.
Mais le fond du problème est bien celui de la compétitivité de la France. Le déficit commercial n'est rien d'autre que l'autre facette du déficit budgétaire et de la dette de la France. Nous sommes dans un nouveau monde où la production s'est déplacée vers les émergents. Nous devons être capables de produire à nouveau en France et de reconquérir des parts de marché.
Pascal : En gros, vous nous expliquez qu'en France, on subit la mondialisation depuis plus de dix ans mais qu'on ne sait pas en profiter. Comment est-il possible de ne s'en rendre compte que maintenant ?Pas depuis dix ans. Je dirais depuis une trentaine d'années. Notre pays, malheureusement, a subi la destruction de 2 millions d'emplois industriels à force de délocalisations, de manque de politique industrielle, de financiarisation de notre économie, de manque d'organisation des filières. Un exemple : notre industrie agroalimentaire, l'un de nos fleurons à l'export, représentait 9 % du marché mondial il y a dix ans, nous sommes tombés à 6 %. Et l'Allemagne nous est passée devant avec 7 % du marché mondial. Nos produits sont excellents, nous ne savons pasorganiser les filières qui permettraient aux producteurs de réussir à l'export comme ils le devraient.
Ajoutez à cela que pendant très longtemps, les Français considéraient que le commerce extérieur était l'affaire du président et des "grands contrats" : armement, nucléaire, aéronautique. Or ce qui se passe, c'est que vingt ans après la guerre froide, les exportations d'armement chutent, l'énergie nucléaire est en question, et plus généralement, nos clients d'hier sont devenus nos compétiteurs d'aujourd'hui. Voyez les TGV chinois ou les centrales coréennes à Abou Dhabi.
On voit bien qu'il s'agit aujourd'hui de redensifier l'ensemble de notre tissu industriel, y compris au plan agroalimentaire, d'améliorer notre offre, et donc deregarder en face notre problème de compétitivité. Y compris en matière de coût du travail. Laissez-moi vous dire que je regrette que, sur ce point précis, il ne soit toujours pas possible de bâtir un consensus bipartisan sur l'écart de compétitivité entre nous et les Allemands, écart que nous évaluons à 10 % s'agissant du coût du travail, ce que la gauche refuse de reconnaître.
Zaza : Pourquoi le gouvernement n'a-t-il engagé aucun effort de libéralisation de notre pays, qui est toujours très mal placé au classement des libertés économiques ?La France est un pays de liberté économique. Elle a le modèle social dont elle a choisi de se doter, qui, c'est vrai, est très coûteux par rapport à beaucoup de nos concurrents, mais nous restons un pays de liberté et un pays de liberté attractif, car je rappelle que nous sommes la troisième destination au monde pour les investissements étrangers (les IDE) derrière les Etats-Unis et la Chine. J'en profite d'ailleurs pour rappeler aux avocats de la "démondialisation" que la moitié de nos exportations est réalisée par les filiales de grands groupes étrangers établis en France.
Guest : Quelle(s) mesure(s), s'il y en a, symbolisent l'action du gouvernement dans le domaine économique et industriel ?
Je crois que nous sommes en train de remettre le navire dans la bonne direction en termes de production et d'emploi chez nous. C'est d'abord tout ce qui touche à l'innovation et à la recherche, élément stratégique pour l'avenir. Réforme des universités, crédit impôt-recherche sont des points absolument clés pour l'avenir. A l'export, la corrélation est totale entre innovation et capacité de prendre des parts de marché.
Deuxièmement, la fiscalité. La réforme de l'ISF [impôt de solidarité sur la fortune]sur le volet PME, la suppression de la taxe professionnelle, l'ambition d'œuvrer à un impôt sur les sociétés commun à la France et à l'Allemagne dès 2013 sont autant d'éléments clés. Restent, bien entendu, la fiscalité et l'environnement en matière de coût du travail, durée du travail, et les options fiscalité du travail et fiscalité du capital. Nous avons déjà pris une réforme très difficile qui concerne les retraites. Le débat est ouvert pour la suite – je pense à la TVA sociale. Pour ma part, je suis pour l'amplification de ces réformes, c'est-à-dire pour l'amplification de la rupture. C'est la seule condition pour que la France relève le défi de la mondialisation et cesse de subir.
Nous avons le choix entre redevenir un grand pays industriel qui compte, à l'instar de l'Allemagne, à l'échelle mondiale, ou bien continuer à subir la mondialisation en termes de délocalisations, d'appauvrissement de notre société, avec le modèle d'une France qui serait assez proche de celle que décrit Houellebecq à la fin de son dernier roman, La carte et le territoire (éditions Flammarion, 2010) : une France hôtellerie-restauration pour cadres chinois fatigués, auxquels s'ajouteraient quelques niches industrielles comme l'aéronautique et les produits de luxe. Ma conviction, pour avoir sillonné et le monde et nos provinces, c'est qu'il y a chez nous un formidable vivier de talents, de créativité, de travail, qui doit nous permettrede rester un grand pays, y compris au plan de l'économie.
Alexandre : Concernant le problème du coût du travail en France, pourquoi n'essayez-vous par de baisser les charges des salariés et/ou des entreprises afin d'inciter les entreprises à embaucher ?
La remarque est très juste. Si l'Allemagne réussit si bien aujourd'hui à l'export – elle est à 150 milliards d'euros d'excédent –, c'est parce que les lois votées il y a plus d'une dizaine d'années sous l'impulsion du chancelier [allemand Gehrard]Schröder, ont fortement amélioré la compétitivité de l'économie allemande. Ces lois visaient en effet à réduire le plus possible les charges pesant et sur les salariés et sur les entreprises. Le paradoxe est qu'elles ont été votées par un Bundestag à l'époque dominé par la gauche et qu'elles ont ensuite bénéficié grandement à l'actuel gouvernement de coalition allemand.
Guest : Selon vous, sommes-nous les témoins d'une nouvelle forme de "guerre économique" entre Etats-Unis et Europe, par le biais des attaques d'établissements financiers ?
Le principal, dans la crise mondiale que nous vivons depuis déjà quatre ans, est de ne pas se tromper de diagnostic. Bien sûr que nous sommes en compétition, nous les Français, nous les Européens, avec les Etats-Unis, le Japon, et bien sûr les nouveaux grands émergents. Mais de grâce, évitons la théorie du complot.
La crise de l'euro n'est pas un complot américain ou un complot chinois ; la crise de l'euro est une partie d'une crise générale de l'endettement, et de l'endettement de ce que j'appelle les "anciens pays riches", c'est-à-dire les Etats-Unis, le Japon, l'Europe, qui subissent ce phénomène tectonique qu'a été depuis trente ans le déplacement de la production mondiale vers les émergents. Aux Etats-Unis comme en Europe, comme au Japon, nous finançons le niveau de vie auquel nous sommes habitués de plus en plus, hélas, par la dette, faute de produiresuffisamment chez nous. Là est l'origine de l'endettement, de la fameuse crise des dettes souveraines.
Benoit : Pourquoi la règle d'or semble-t-elle si chère aux yeux du gouvernement ? Le fait d'inscrire l'interdiction de déficit dans la Constitution est-il vraiment utile ou n'est-ce qu'un simple message "positif"envoyé aux marchés ?
Deux observations. La première, c'est que cette règle a été déjà introduite dans bon nombre de pays européens, quelle que soit la couleur politique des gouvernements en place. Par exemple par le gouvernement socialiste espagnol. Deuxième remarque : cette règle a une vertu pédagogique. Dans un pays qui n'a pas présenté un budget en équilibre depuis trente-cinq ans, elle signifie d'abord la prise de conscience que nous ne pouvons pas continuer ainsi sans littéralement plombernos propres enfants par la dette que nous allons leur laisser et que, d'autre part, la gauche et la droite sont au moins d'accord sur la nécessité de gérer sainement nos finances, comme nous devons les uns et les autres dans notre propre vie familiale, "en bon père de famille", sans dettes ou avec le moins de dettes possible.
Si l'on en croit les sondages, j'ai l'impression que les Français ont compris cela. C'est probablement l'essentiel. Evidemment, ce serait mieux si tous nos grands dirigeants politiques, de droite ou de gauche, se mettaient d'accord au moins sur ce principe, quitte à ensuite décliner des politiques différentes ou des itinéraires différents sur tel ou tel aspect de la vie de notre pays.
Fabien : Que pensez-vous de la niche Copé ?
Je pense, mais je ne suis pas le ministre du budget, qu'il est légitime que l'ensemble des acteurs économiques soient traités à égalité de droits et de devoirs.
Pierre : Pourquoi avez-vous soutenu, un temps, la candidature de Jean-François Legaret en dissidence face à Chantal Jouanno pour les sénatoriales parisiennes ?
Cela n'a jamais été le cas. Jean-François Legaret [maire du Ier arrondissement] a donné trente ans de sa vie à la vie municipale à Paris, il est l'un des meilleurs connaisseurs de la ville, du budget de la ville notamment, et il avait toute légitimité àêtre lui-même candidat au poste de sénateur de Paris. Il a eu la maturité politique de faire prévaloir l'intérêt collectif de sa famille politique en soutenant la liste officielle de l'UMP plutôt que de partir en dissidence. Je l'en ai publiquement remercié. Il est l'un des maires de ma circonscription, et nous travaillons en pleine confiance, en tandem.
Pascal : Selon vous, qui sera le quatrième sénateur de droite à Paris dimanche ?
Je souhaite que ce soit [Daniel-Georges] Courtois, puisqu'il figure en quatrième position sur la liste UMP. Et je souhaite que nous ayons quatre sénateurs dimanche. Je rappelle que nous devions en avoir cinq, et que la division nous a déjà coûté un siège lors du dépôt des listes des grands électeurs...
Alain : Si François Fillon ne se présente pas à Paris, pourriez-vous êtrecandidat au municipales contre Rachida Dati et Chantal Jouanno ?
Je ne savais pas que Rachida Dati et Chantal Jouanno étaient déjà candidates à la mairie de Paris, et je ne sais pas si François Fillon sera candidat. Une haie à la fois : les sénatoriales dimanche, la présidentielle, puis les législatives. Et entre 2012 et 2014, essayer de rebâtir une offre politique alternative crédible à Paris.
Compte tenu du mode de scrutin, qui fait que le maire de Paris n'est pas élu au suffrage universel, il faut que l'UMP soit capable d'avoir non seulement un candidat pour Paris, mais des candidats crédibles dans les arrondissements de l'est, qui sont à reconquérir, et notamment dans les plus importants d'entre eux sur le plan démographique. Pour ma part, je travaillerai à cette offre alternative, et nous verrons. Il est clair que maire de Paris doit être l'une des fonctions les plus exaltantes dans notre pays, surtout si on aime Paris, si on est parisien, comme c'est mon cas, et qu'on essaie de penser Paris dans le monde dans trente ans. Alors oui, Paris m'intéresse, bien sûr.
Guest : Rachida Dati, maire du VIIe arrondissement, et Claude Goasguen(XVIe) ont répété, dans les médias, que l'UMP devait faire le ménage au sein de la direction de sa fédération parisienne. Partagez-vous leur point de vue ?
Je souhaiterais tellement que les responsables politiques parisiens cessent les petites phrases, ou plutôt les réservent à M. Delanoë [le maire de Paris] et à son bilan. Les Parisiens n'ont que faire de la cuisine interne de la fédération UMP de Paris. Ce qu'ils attendent, c'est une offre politique alternative. La population parisienne est très sophistiquée, en majorité diplômée, surinformée. Elle a soutenu Delanoë pendant la période où celui-ci incarnait encore la modernité par rapport à une droite parisienne vécue comme vieillie.
Mais aujourd'hui, cette population parisienne mesure parfaitement les insuffisances de gestion en matière de propreté, de transports, d'emplois, le manque de vision s'agissant de l'avenir de la capitale, la muséification de notre ville. Elle attend de nous des options pour l'avenir, pas des querelles d'appareil. Dans ces conditions, mon rôle consiste à rassembler, d'abord au sein de ma propre circonscription, dedonner l'exemple d'un travail sur le fond et pas de partir dans des querelles de personnes ou d'appareil.
Jean : Etes-vous favorable à la reconnaissance internationale de l'Etat palestinien ?
La position de la France n'a jamais varié sur ce sujet. Si ma mémoire est bonne, depuis 1978. Et le président de la République actuel l'a exposé avec force devant la Knesset en 2008 ; j'étais à ses côtés. Nous pensons que les Palestiniens ont droit à un Etat, et qu'Israël a droit à la sécurité. La solution de ce conflit, si difficile et si important pour la paix du monde, passe nécessairement par une solution à deux Etats. Deux Etats qui se reconnaissent et qui vivent en paix.
La position exposée par Nicolas Sarkozy à l'ONU est une position sage qui préserve la solution à deux Etats et qui rend droit aux deux parties : sécurité d'un côté, reconnaissance de l'autre. Espérons qu'elle soit, in fine, adoptée par tous. Et que, dans l'année qui vient, nous puissions arriver à une solution négociée et non à une escalade de violences. Le printemps démocratique arabe est en tout cas une chance historique à saisir pour bâtir la paix.
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