Le prix de la prospérité allemande : - 4,2% de salaire moyen !
Gilbert Casasus - Tribune | Lundi 14 Novembre 2011 à 05:01 | Lu 3833 fois
En s'appuyant sur la baisse de 4,2% que le salaire moyen des Allemands aurait subi depuis une décennie, le journal Spiegel du 9 novembre dernier s'interrogeait sur la réussite économique du pays. Une exception au sein du paysage médiatique germanique qui s'acharne depuis des mois sur l'Europe du Sud, remarque Gilbert Casasus.
C’est le genre de nouvelles que l’on découvre au hasard d’une lecture des journaux Internet. Rien qui ne fasse absolument la une de l’actualité, d’autant que l’on aimerait passer sous silence une telle information. Sur son site du 9 novembre dernier, le Spiegeln’hésite pas en effet pas à déclarer que : « Les Allemands peuvent se payer de moins en moins des choses ».
Sous la plume du journaliste David Böckling, « Spiegel online » se réfère à une étude du très sérieux et réputé « Deutsches Institut für Wirtschaftsforschung » (L’Institut allemand de recherche économique), selon laquelle le salaire moyen des Allemands aurait baissé de 4,2% au cours de la dernière décennie.
Présentée par Böckling comme « la face cachée » du succès économique allemand, cette baisse des revenus est de fait beaucoup plus structurelle que conjoncturelle. Phénomène enregistré sur le moyen et long terme, elle concerne presque tous les salariés, à l’exception des plus dotés d’entre eux. Alors que les personnes gagnant l’équivalent de 1290 euros en l’an 2000 auraient perdu 242 € de revenu mensuel dix ans plus tard, celles qui touchaient 5368 € en 2000 se félicitent d’une augmentation de 113 € en 2010. Cette inégalité salariale n’est d’ailleurs pas prête à s’arrêter, les performances de la florissante économie de la RFA n’étant pas destinées à accroître le pouvoir d’achat de ses habitants.
Ayant subi de 2000 à 2010 une perte moyenne de 93 € par mois de leur salaire, les Allemands ne peuvent guère espérer une amélioration de leurs revenus. Car, et on a peine à le lire : « Le patronat s’est montré trop avare et les employés trop modestes ». C’est là une explication pseudo morale qui ne convainc personne, à l’exception de quelques naïfs qui lui accorderaient encore une quelconque crédibilité. Les raisons de cette évolution sont bien plus profondes et tiennent en priorité à la politique économique allemande. Celle-ci a concentré tous ses efforts sur le commerce extérieur et plus spécialement sur les exportations de produits made in Germany dont un grand nombre de composantes n’a d’ailleurs de germanique que le nom. Par conséquent, les différents gouvernements ont volontairement négligé la consommation intérieure qui, en comparaison avec celle d’autres voisins européens, demeure trop faible en RFA pour assurer le maintien d’un taux de croissance fort. Celui-ci vient en outre d’être révisé à la baisse : de 3% pour l’année 2011, il devrait retombé à 0,9% en 2012, suivant ainsi la tendance enregistrée au sein de l’Europe et, plus spécialement, à l’intérieur de la zone euro.
Critique à souhait, le journaliste du Spiegel ne craint pas de terminer son article par cette réflexion qui devrait inspirer plus d’un de ses lecteurs. A contre-courant d’une pensée unique qui monte l’Allemagne au pinacle de la réussite économique, David Böckling pointe du doigt «la faible consommation intérieure allemande qui est l’une des raisons pour lesquelles l’Europe est confrontée à de grands déséquilibres économiques », avant de conclure que « autrement dit : si les Allemands avaient acheté un peu plus de produits en provenance des autres pays, la Grèce, le Portugal et Co. seraient dans une situation au moins meilleure qu’ils ne le sont aujourd’hui ».
Cet article constitue une exception au sein du paysage médiatique allemand qui depuis plusieurs mois s’est véritablement acharné sur le sort de l’Europe du sud. Mais plus encore, il a le courage de s’interroger sur un modèle économique que trop d’Européens, et plus particulièrement trop de Français, regardent avec des yeux de Chimène. Bien que leader incontesté de l’économie européenne, la RFA ne doit pas nécessairement servir d’exemple. Un pays qui volontairement baisse ses salaires, et notamment ceux de ses ressortissants les plus défavorisés, ne mérite pas les égards qu’on lui prête encore trop facilement. De plus, il ne montre pas la ligne à suivre au sein d’une Union européenne qui se conforme trop souvent à son modèle. Car qu’on le veuille ou non, si l’Europe veut redevenir ce qu’elle était, à savoir un espace de progrès et de réussite, elle devra renouer aussi avec « l’économie sociale de marché». Naguère portée et défendue par une République fédérale chrétienne- ou social-démocrate, elle fut d’abord répudiée par Gerhard Schröder et, aujourd’hui plus que jamais, par la chancelière Angela Merkel qui a même oublié ses fondements philosophiques et politiques. En effet, qui baisse les salaires, créent les inégalités. Et qui créent les inégalités met également l’Europe et l’euro en péril.
Gilbert Casasus est professeur en études européennes à l'Université de Fribourg (Suisse).
Sous la plume du journaliste David Böckling, « Spiegel online » se réfère à une étude du très sérieux et réputé « Deutsches Institut für Wirtschaftsforschung » (L’Institut allemand de recherche économique), selon laquelle le salaire moyen des Allemands aurait baissé de 4,2% au cours de la dernière décennie.
Présentée par Böckling comme « la face cachée » du succès économique allemand, cette baisse des revenus est de fait beaucoup plus structurelle que conjoncturelle. Phénomène enregistré sur le moyen et long terme, elle concerne presque tous les salariés, à l’exception des plus dotés d’entre eux. Alors que les personnes gagnant l’équivalent de 1290 euros en l’an 2000 auraient perdu 242 € de revenu mensuel dix ans plus tard, celles qui touchaient 5368 € en 2000 se félicitent d’une augmentation de 113 € en 2010. Cette inégalité salariale n’est d’ailleurs pas prête à s’arrêter, les performances de la florissante économie de la RFA n’étant pas destinées à accroître le pouvoir d’achat de ses habitants.
Ayant subi de 2000 à 2010 une perte moyenne de 93 € par mois de leur salaire, les Allemands ne peuvent guère espérer une amélioration de leurs revenus. Car, et on a peine à le lire : « Le patronat s’est montré trop avare et les employés trop modestes ». C’est là une explication pseudo morale qui ne convainc personne, à l’exception de quelques naïfs qui lui accorderaient encore une quelconque crédibilité. Les raisons de cette évolution sont bien plus profondes et tiennent en priorité à la politique économique allemande. Celle-ci a concentré tous ses efforts sur le commerce extérieur et plus spécialement sur les exportations de produits made in Germany dont un grand nombre de composantes n’a d’ailleurs de germanique que le nom. Par conséquent, les différents gouvernements ont volontairement négligé la consommation intérieure qui, en comparaison avec celle d’autres voisins européens, demeure trop faible en RFA pour assurer le maintien d’un taux de croissance fort. Celui-ci vient en outre d’être révisé à la baisse : de 3% pour l’année 2011, il devrait retombé à 0,9% en 2012, suivant ainsi la tendance enregistrée au sein de l’Europe et, plus spécialement, à l’intérieur de la zone euro.
Critique à souhait, le journaliste du Spiegel ne craint pas de terminer son article par cette réflexion qui devrait inspirer plus d’un de ses lecteurs. A contre-courant d’une pensée unique qui monte l’Allemagne au pinacle de la réussite économique, David Böckling pointe du doigt «la faible consommation intérieure allemande qui est l’une des raisons pour lesquelles l’Europe est confrontée à de grands déséquilibres économiques », avant de conclure que « autrement dit : si les Allemands avaient acheté un peu plus de produits en provenance des autres pays, la Grèce, le Portugal et Co. seraient dans une situation au moins meilleure qu’ils ne le sont aujourd’hui ».
Cet article constitue une exception au sein du paysage médiatique allemand qui depuis plusieurs mois s’est véritablement acharné sur le sort de l’Europe du sud. Mais plus encore, il a le courage de s’interroger sur un modèle économique que trop d’Européens, et plus particulièrement trop de Français, regardent avec des yeux de Chimène. Bien que leader incontesté de l’économie européenne, la RFA ne doit pas nécessairement servir d’exemple. Un pays qui volontairement baisse ses salaires, et notamment ceux de ses ressortissants les plus défavorisés, ne mérite pas les égards qu’on lui prête encore trop facilement. De plus, il ne montre pas la ligne à suivre au sein d’une Union européenne qui se conforme trop souvent à son modèle. Car qu’on le veuille ou non, si l’Europe veut redevenir ce qu’elle était, à savoir un espace de progrès et de réussite, elle devra renouer aussi avec « l’économie sociale de marché». Naguère portée et défendue par une République fédérale chrétienne- ou social-démocrate, elle fut d’abord répudiée par Gerhard Schröder et, aujourd’hui plus que jamais, par la chancelière Angela Merkel qui a même oublié ses fondements philosophiques et politiques. En effet, qui baisse les salaires, créent les inégalités. Et qui créent les inégalités met également l’Europe et l’euro en péril.
Gilbert Casasus est professeur en études européennes à l'Université de Fribourg (Suisse).
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